mardi 19 mai 2020

Deux textes musicaux

CONSERVATOIRE : CE QUI SERT À CONSERVER. 
CONSERVATEUR : CE QUI VISE À ÉVITER TOUT CHANGEMENT.


Reinbert de Leeuw est une sorte de miracle de l'interprétation, un alchimiste du piano. Je ne parviens pas à comprendre comment il est possible de métamorphoser une composition fixe en une telle particularité musicale, en un moment nouveau. 

L'alchimie, c'est ce qui fait sortir d'une chose particulière une chose nouvelle. Il s'agit de formation, d'un nouveau, teinté d'ex nihilo. Car on fait sortir d'une chose particulière quelque chose qui lui est étranger. La relation qui sépare le matériel primitif de sa création relève presque du néant et le gouffre qui intervient entre ces deux relations, c'est l'alchimie. Ce qui fait qu'un corps, sorti d'un autre n'est pas deux fois ce même corps dans la nature, c'est un acte alchimique. La chimie, elle, ce sont les processus descriptifs du changement. On note qu'une chose change, qu'une chose se meut. On ne note finalement rien, car on ne fait rien. 

S'il faut appréhender l'interprétation musicale, il ne faut l'interpréter qu'en tant qu'acte créatif, en tant que transformation. Longtemps la musique savante a voulu s'attacher à la vérité d'une composition, à s'attacher au génie compositionnel des musiciens. Ils ne font que se soumettre. Il y a une forme de réactionnisme à tout à cela. On cherche à retrouver une pseudo forme originelle, mais la musique est toujours instantanée. Elle doit évoluer, changer, comme tout événement naturel est changeant.

Reinbert de Leeuw fait de la métamorphose. Oubliez toutes gymnopédies, toutes gnosiennes que vous avez entendues au cours de votre existence : ici tout est renouvellement. On pense à Bresson, les Notes sur le cinématographe. On peut comprendre que Bresson parlait en tant que véritable alchimiste de l'art. Tout ce qu'il y disait prônait la transformation. Tout est changeant et tout doit changer, éternellement. Ce sont les rouages de tout phénomènes, la seule force qui anime chaque anima. Satie est dans la vision commune un espèce de Dadaïste raffiné, oscillant entre tristesse et joie, entre amusement et sérieux. Finalement ce dadaïsme avant l'heure s'est transformé en convention. Il est devenu un poncif et une institution. "Ne changez pas Satie ! Soyez fidèle à lui." Mais, lui, qui ? Institutionnalisez sa musique si vous le voulez, ce qu'il a fourni n'implique qu'une chose : l'audace. N'hésitez plus à enfreindre les règles. Bafouez les. Et bafouez même toute la réputation de Satie en passant. Ce que vous vénérez de lui, sa musique ne souhaite qu'une chose : le profaner. Satie est l'éternel sacripant, qui se moque de vous et de vos beaux pianos, de vos beaux costumes et conservatoires. Il est là pour détruire, en finir avec la bourgeoisie.

 *

 SENTIMENTS DIRECTS D'UN CONCERT BRUITISTE FICTIF 
 Arca pour le concert Mutant;Faith (décembre 2019) 

Mon corps sur une scène, parmi la décharge de bruits que je provoque. Frêle et dansant une danse qui n'a aucune loi, éperdue d'affects en tout genre. Je ne vois rien. Je ne regarde rien de mes yeux. Ils seront fermés. J'oublierai alors les autres, car ce n'est que là que je pourrai me dévoiler. Et je serai belle sur mes talons d'où je vacillerai de douleur. Le son ne sera pas seul à éprouver la saturation, toutes mes fibres le seront. Mes pauvres muscles, je les mettrai à bout. Non pour exprimer la puissance mais précisément leur fragilité. De douleur je serai, en pleine suffocation, peinant à respirer. Mais j'irai jusqu'à la fin du sentiment. Le moindre mouvement de mon corps deviendra son. Ce micro que j'aurai dans les mains, son larsen déplacé dans l'espace prouvera mon existence. Sans quoi ces changements sonores ne sauraient exister. Et le larsen du micro, sera alors artificiellement le mouvement intérieur de mes mains. En criant, je rentrerai à l'intérieur de lui. Chaque son, nuance de ma voix seront cependant indirects. Ce que vous entendrez ne sera que l'artifice de ma voix. En effet, je me tiendrai toujours seule. Il y aura une distance entre les flux de mon être et la technique que j'emploie pour le rendre visible. Et mon être n'est pas non plus stable. Il s'y perd entre une infinité de mouvements, comme une vague fluctuante. Il est fait d'une infinité de parties d'une même chose. Le microcosme s'entend à perte de vue. Le macrocosme enferme. Il limite et délimite les choses.