Je termine en ce moment un film dont le titre sera probablement Trois poèmes de Baudelaire (il ne me reste qu’un plan à tourner). Il s’agit d’un film confrontant des poèmes issus du Spleen de Paris à la mise en scène d’images « mentales » liées aux poèmes en question. Cependant, je crois n’en avoir pas fini avec Baudelaire.
J’aimerais faire un film dont le titre serait Baudelaire en Belgique.
Il faudrait, avant tout, lire tous les textes de Baudelaire regroupés, il fut un temps, sous le titre impropre de Journaux intimes, et en particulier, bien sûr, son ébauche de pamphlet sur la Belgique, dont le titre aurait dû être Pauvre Belgique, ou bien La Belgique déshabillée. Cette ébauche, écrite lors de l’exode bruxellois de Baudelaire, devait en réalité devenir un pamphlet dirigé contre la France : Baudelaire voyait dans la société bruxelloise de l’époque une caricature de la bourgeoisie française.
Il y aurait, donc, dans le film, des extraits de ce pamphlet, mais aussi, pourquoi pas, des poèmes. Je ne sais pas quels poèmes Baudelaire a écrit en Belgique. Il me faudrait lire une ou plusieurs biographies, afin de savoir quels poèmes ont été écrits lors de cet exode (le sait-on seulement ?). Ces biographies seraient aussi l’occasion d’en apprendre plus sur la réalité de ce séjour en Belgique : qui Baudelaire y a-t-il rencontré ? Où passait-il son temps ? Qu’y voyait-il ? Qu’y voit-on aujourd’hui ? Il faudrait filmer ces lieux, ou les ruines de ces lieux.
Bien entendu, je ne le nie pas, il y a aussi quelque chose d’autobiographique dans ce film, mais d’une manière très lointaine : je m’installe en Belgique pour quelques mois, et la lecture du texte de Baudelaire sera forcément marquée par ma propre expérience. Je ne veux pas que, dans le film, cela se fasse en toute conscience : rien que le nécessaire. De toute façon je ne peux filmer que ce que je connais, ce que j’ai vu, ce que je veux voir, ou tout simplement ce que je veux filmer. Et puis, enfin, je crois que d’une certaine manière, je me reconnais dans ce qu’a pu écrire Baudelaire (voilà qui est bien prétentieux !), puisque, je le confesse, ma petite paresse intellectuelle me fait aussi voir dans ce pays (en particulier dans Bruxelles) une parodie cynique et bonhomme de la France contemporaine… Ici, je plaide coupable.
Il y aurait peut-être, pour la première fois dans ce que j’ose à peine appeler « mes films », de la musique. Probablement du Liszt, compositeur dont je ne connais presque rien, mais que Baudelaire admirait beaucoup, et auquel il a dédié son poème Le Thyrse. J’avais pensé à filmer, dans Trois poèmes de Baudelaire, la maison parisienne de la famille Liszt, mais l’idée n’a pas pris forme. C’est pareil pour ce Baudelaire en Belgique : pour l’instant, il n’y a que les idées. On verra ce qui reste.
J’ai une autre envie, quelque chose qui ne sera peut-être pas dans le film, mais auquel je pense. Quand je pense au film, je pense à y mettre une image de Baudelaire, une image que j’aurais filmé moi-même, celle d’un Baudelaire supposé, fantasmé, probable, que sais-je. Bien entendu, il serait obscène de faire intervenir un acteur jouant Baudelaire dans le film (et puis, après tout, pourquoi pas ? On pourrait le faire…), mais j’aimerais que dans ce film où il n’y a pas de personnages, à peine des acteurs, une figure humaine se détache. Elle serait filmée de face, ou de biais, à la terrasse d’un café. Elle pourrait fixer la caméra. Peut-être le plan interviendrait-il plusieurs fois. Ce ne serait qu’une apparition, ce ne serait pas Baudelaire, mais en fait si, un peu… J’aimerai rendre cette présence un peu obsédante, sans trop en faire. Il faudrait que le film se nourrisse de ce mystère.
Voilà ce que j’imagine pour Baudelaire en Belgique. Les images que j’ai en tête sont précises, ce que j’ai écrit flou. C’est que ces images mentales préexistantes au film, images dont peu de cinéastes peuvent nier l’existence, sont au sens propre, irréalisables. Quel que soit le film, même le plus maitrisé, il reste du chaos, et c’est bien souvent ce chaos qui donne aux beaux films leurs plus belles scènes. Je ne dis rien d’original ici, c’est quelque chose que presque tous les cinéastes peuvent dire. Comme la plupart des évidences, c’est une vérité.
Qu’on me permette, pour clore cette « explication » (c’est le seul mot qui me vient), une brève auto-analyse. Dans mes films, les textes sont une sorte d’appui : j’en extrais de l’arbitraire, j’en transpose la consistance. Ils contrebalancent mes angoisses, peut-être bien ma lâcheté. Si je ne sais pas quoi faire, je me réfère au texte, et il y a toujours ce qu’il me faut dedans. Peut-être qu’un jour, je ferai un film sans rien emprunter à une œuvre préexistante. Un jour, j’aimerais tourner une comédie.
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