lundi 10 juin 2019

Et si c'était vrai...

Et si c’était vrai est une comédie romantique de Mark Waters, adaptée d’un roman à succès de Marc Lévy, et racontant l’histoire de la rencontre, dans un appartement qui appartient autant à l’un qu’à l’autre -ce qui fera l’objet de la première dispute, moment essentiel de toute comédie romantique-, entre un jeune veuf ascendant dépressif, enchaînant bière sur bière dans un sofa de qualité (Mark Ruffalo, tout juste bougon, à peine renfrogné, avec ce qu’il faut de retenue mollassonne pour couvrir de quelques lueurs d’espoirs un visage fatigué), et le fantôme d’une presque-morte, médecin urgentiste surmenée tombée dans le coma suite à un accident de voiture (Reese Witherspoon, lumineuse, dont le rayonnement tient autant à sa chevelure dorée qu'à sa mine presque ébahie, sur laquelle se dessinent les restes encore vifs d'une curiosité émerveillée provenant probablement de l'enfance). Ils réapprennent tous deux à vivre au contact des différences et des similitudes avec l’autre, puis se trouvent confrontés ensemble à un problème physique, autrement plus grave que celui de la propriété de l’appartement : comment le personnage de Reese Witherspoon peut-il réintégrer son corps et sortir du coma ? 

Ce qui frappe, c'est d’abord l'impression d’une implication de chaque instant, comme une minutie consciencieuse permettant de parsemer de petites nuances la condensation propre au genre de la comédie romantique. Un exemple parmi d’autres, pour badiner un peu : le léger rapport de formes, très pictural, entre le rond et l’anguleux (déjà à l'œuvre dans Freaky Friday -le meilleur film de Mark Waters-, avec d'un côté le visage pommelé de Lindsay Lohan, et de l'autre celui de Jamie Lee Curtis, plus pointu et incisif), qui fait opposition entre les deux personnages, puis s’amenuise (on n’en voit presque plus trace lors de l'échange de sourires final) avant de resurgir au moment de la perte de mémoire de Reese Witherspoon à l'hôpital, à l’occasion d’un champ/contre-champ troublant. Les détails de ce type, à peine perceptibles, affluent tout en se fondant délicatement dans les conventions, donnant un film dans la pure tradition du classicisme hollywoodien, au métier sûr et à la beauté douce et discrète. Les sentiments y coulent tranquillement tandis que les corps y résistent à peine, s'illuminant progressivement à mesure que le film avance, jusqu'à rendre évidente la résolution du problème posé par le scénario : seule une manifestation physique de l'amour peut redonner vie au corps mourant. 

Le film est bon parce qu'il travaille avec beaucoup de sérieux ce problème de l'incarnation du sentiment amoureux. Conscience professionnelle ou lucidité intuitive, il envisage les choses en terme d'espace avant tout, en jouant des rapports entre les personnages et leur environnement. Ainsi l’appartement, d’abord objet de dispute, devient le lieu privilégié d’un espace commun, où le couple se retrouve seul après avoir vadrouillé à droite à gauche pour régler ses petites affaires. Ce qui offre notamment cette très belle scène, durant laquelle la voisine (présentée comme une allumeuse, mais dont la solitude touchante est peu à peu dévoilée avec beaucoup de bienveillance) se déshabille hors-champ dans la chambre, appelant pressement Mark Ruffalo à la rejoindre, lorsque le fantôme de Reese Witherspoon, qui avait prévu de s’en aller pour de bon, revient brusquement, mettant l’homme dans l’embarras et posant tout à la fois et dans l’urgence les questions des sentiments éprouvés, du désir corporel et de l’espace partagé. Ruffalo, bien sûr, fait le choix de l’amour face au plaisir charnel, mais l’absence de chair devient elle-même bien embêtante lorsqu’il s’agit plus tard de vivre l’amour à deux. Il y a donc conflit entre le corps réel, matériel, morceau sensuel du monde, et l’idée du corps, abstraite, imaginée, objet de fantasme. Mark Waters semble avoir compris que l'idée en soi ne vaut rien, et les astuces amusantes qui servent souvent de base à ses films (l'inversion mère/fille de Freaky Friday, l’arrivée des pingouins dans l’appartement de Mr Popper...) ne deviennent belles qu'une fois transformées, poétisées. Faire corps d'une vue de l'esprit, voilà ce qui semble stimuler ce drôle d'artisan, mi-cinéaste mi-forain, s'amusant sans doute beaucoup à fabriquer ses jolis petits films évanescents. 

Tout cela est évidemment bien enrobé, et il serait malhonnête de faire semblant de ne pas voir le côté mielleux et guimauve de Et si c’était vrai. Mais enfin sommes-nous si aigris que nous devrions bouder notre plaisir devant de la guimauve ou du miel ? -d'autant qu'il est bien connu que celui-ci recèle de réelles vertus thérapeutiques, face au mal de gorge notamment. On pourrait suggérer alors de regarder Et si c'était vrai, sinon pour les yeux, au moins pour la gorge, histoire d'apprécier un film qui fait du bien sans trop en faire, ce qui constitue déjà une forme d’originalité au temps des claques et de la sidération. Un film de rien, bien usiné, sans importance, qui ne prête pas à débats, se contentant seulement de donner des nouvelles pas trop mauvaises du cinéma, histoire de dire, en passant « on fait aller », avant de repartir aussi sec. C’est peut-être un poil plus intéressant que Douleur et Gloire, qui ne nous renseigne que sur l’état de Pedro Almodovar et Antonio Banderas (ils se portent plutôt bien, c’est déjà ça), mais est-ce suffisant pour autant ? Dans le film de Waters comme dans celui d’Almodovar, on peine à sentir plus que de légères brises de ce souffle du monde si essentiel à l’expérience cinématographique. 

Cela-dit, dans un monde où il est devenu difficile de trouver dix bons films par an pour constituer (comme tout bon cinéphile) un top de fin d’année, une petite œuvre comme celle-ci, qui tient sur ses deux pattes, pas boiteuse, pas douteuse, eh bien c’est déjà pas mal. Il se trouve que le hasard des choses m’a conduit à découvrir le même jour Boyz n the Hood, plus ouvert et concerné mais aussi moins solide, moins précis, plus brinquebalant. Que préférer alors ? Peut-être que cela vaudrait le coup d’écrire deux textes : l’un -rêvons-le- pour discuter du film de John Singleton, en pesant le pour et le contre, en mettant en avant son importance tout en pointant ses maladresses ; l’autre -celui-ci- pour faire simplement la promotion de Et si c’était vrai, dont la seule importance se situe dans sa fidélité à la préservation du plaisir précieux de voir encore, de temps à autres, de bons petits films, sans plus, que l’on apprécie sans conditions et sans adoration. 

Ou alors, pourquoi pas, parler d’un film sorti récemment, qui tire sa grandeur d’un alliage heureux entre une prise dans le réel et une beauté artisanale plus ample et plus robuste que celle de Et si c’était vrai (dont la joyeuse insouciance est le principal atout en même temps que la raison de son inconséquence ). Il s’agit de Green Book, vrai beau film classique, d’une relative importance, fabriqué par l’un des meilleurs cinéastes américains des vingt-cinq dernières années (même sans son frère, et même lorsqu’il fait passer son film, par opportunisme, pour une petite histoire oscarisable -et ça marche !-), Peter Farrelly. Ceux qui le connaissent un peu ne sont pas dupes des statuettes et du consensus, et il suffit de regarder Green Book pour se rendre compte qu’il s’y passe des choses qu’on ne voit nulle part ailleurs dans le cinéma contemporain. L’amitié en tant qu’elle est déjà une construction politique. L’échange, l’entre-deux, le et, comme vraie définition de l’identité. Ça, tout de même, c’est important. Non pas de le dire tel quel, mais de le montrer tel que le montre Green Book. Du reste, la question du corps est travaillée avec une intensité aussi sensible que dans quelques uns des plus beaux Capra, que n’atteint jamais le film de Mark Waters, même lors de ses scènes les plus réussies. Comme dans M. Smith au Sénat, les idées chez Farrelly excèdent largement l’idéologie, elles prennent corps en-dessous ou au-delà du discours, avec une constante énergie. Et les personnages, d’abord enfermés dans les typages imposés tant par la société que par le film, se découvrent progressivement. Il s’agit moins d’une transformation que d’une véritable formation, formation de l’identité, du et nécessaire à l’amitié à deux, par frottements, conflits, rencontres… accompagnée par le spectateur sur le chemin du film. Les nouvelles du cinéma sont bonnes, celles du monde un peu moins, bien que teintées d’un optimisme hollywoodien pour le moins rafraîchissant, mais une chose est sûre : ça communique bien. La route est prise de façon à laisser le moins de spectateurs possible sur le bas côté (vrai film populaire), on utilise le souffle du monde comme carburant (green book : voyage écologique), et hop, à l’aventure !

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