lundi 7 octobre 2019

Marie Rivière dans La vie comme ça de Brisseau (1978) et Le rayon vert de Rohmer (1986)



Des Rohmériennes * — Marie Rivière, Pascale Ogier et Rosette — à l’épreuve du système Brisseau. Marie Rivière m’a semblé, de prime abord, débouler tout droit du Rayon vert. Performance en puissance avec huit ans d’avance. Il me semble maintenant, avec un revisionnage dans les pattes, avoir mal évalué un caractère. Mal vu, mal… vu, tout simplement. Quelque chose a trompé mon oeil. Mon sentiment d’il y a quelques mois, désormais se précise, s’ajuste à la manière d’une boussole. La malveillance dont l’affublera Brisseau, n’existe pas chez Rohmer. Elle n’est pas hautaine ou insupportable, elle est seule et les autres sont idiots. Ce dédain, qui n’est pas exactement de l’arrogance — « je veux passer des vraies vacances, pas aller en Irlande »— dissimule beaucoup de sensibilité. Rivière a beaucoup de choses pour elle. Elle est d’une beauté confondante -fugacité d’une manche qui glisse et lui dénude l’épaule- mais, elle se trouve privée d’éloquence. Petite sirène à laquelle on a presque coupé la langue, la voir tenter de s’exprimer est un vrai supplice. 

De Rohmer, on se chamaille à propos de la question de la parole, de son artificialité prétendue, si bien qu’il est obligé de s'en justifier en 1971 dans la Nouvelle revue française — « Mon cinéma, dites-vous est littéraire…. » — Ici en 1986, Marie Rivière a du mal à aligner deux mots sans bégayer. Revenu à un mode de travail plus modeste, il s’agit de comprendre que toute l’attention que Rohmer porte à la parole, prend justement en charge toutes les difficultés d’expression, de manifestation de cette même parole. Trouver les mots justes, c’est le travail de toute une vie.

Personne ne comprend ; le respect de la flore, le refus de manger les animaux, la solitude, les manies. Lorsqu’elle parle, elle est seule, se passe péniblement la main dans les cheveux, en appelle au bon sens de chacun ou plus simplement, se fait discrète dans l’espoir de passer inaperçue. On lui rétorque qu’elle est mal élevée (vilaine Béatrice Romand) ou qu’elle fait la difficile (les cousins hippies de Rosette). Ça me fait pleurer. Chez Brisseau, sa situation sociale (fille chérie d’un pdg, leur relation est très oedipienne) lui permet d’acquérir un langage tout autre dont elle joue avec malignité - terrible scène dans laquelle elle berne Lisa Hérédia. Jouant sur le « tu ne sais pas que je sais ce que tu tiens à me cacher », elle humilie de la pire manière qui soit. Elle lui tourne autour comme un vautour autour de sa proie, à ce moment là quelque chose se casse, le destin d’Hérédia est condamné.

La vie comme ça s’ouvre sur un travelling terrifiant sur une salle de classe qui chahute. Lisa Hérédia est une jeune fille qui arrête l’école au bout de deux minutes de film. L’école, on ne la reverra plus, d’autres films s’en chargeront jusqu’au dynamitage final de l’an 2000 : investir une école sans y être invité, Raphaëlle Godin et Stanislas Merhar -rendu analphabète- dans les Savates du bon Dieu. Dans La vie comme ça -sorti trois ans après Surveiller et punir de Foucault- il est question d’un autre lieu où s’exerce le pouvoir, où l’on tend à rendre le corps docile et efficace : le bureau. Par tous les moyens, les patrons d’Hérédia tenteront de la faire taire. Jamais elle ne flanchera de sa ligne morale, jusqu’à. 


Aimer la vérité signifie supporter le vide, et par suite accepter la mort. La vérité est du côté de la mort.

Pour atteindre le détachement total, le malheur ne suffit pas. Il faut un malheur sans consolation. Il ne faut pas avoir de consolation. Aucune consolation représentable. La consolation ineffable descend alors.

Remettre les dettes. Accepter le passé, sans demander de compensation à l'avenir. Arrêter le temps à l'instant. C'est aussi l'acceptation de la mort.

« Il s'est vidé de sa divinité. » Se vider du monde. Revêtir la nature d'un esclave. Se réduire au point qu'on occupe dans l'espace et dans le temps. À rien.

Se dépouiller de la royauté imaginaire du monde. Solitude absolue. Alors on a la vérité du monde. S.W ** 







* Mais pas que. Je crois avoir reconnu le sublime profil d'Ingrid Bourgoin (ce nez..!) de manière très furtive. Son nom n'est cependant pas mentionné au générique. J'aime à croire que c'est bien elle. 

** Très beau plan sur Lisa et Marie, lisant à quatre mains La pesanteur et la grâce. Brisseau est un habitué de Simone, on se souvient de la thèse — La philosophie mystique de Simone Weil — virtuellement écrite par Bruno Cremer dans Noce blanche, et de manière plus effective par Gaston Kempfner.

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