mardi 9 juillet 2019

Bourbiers graciles de Dwight Little


Un cadre percé de toutes parts par le monde duquel il retranche ses visions ; il vibre de ce qu’il ne contient pas encore*. Monde en lui-même monolithique, d’un marbre ennuyeux, entièrement agi par la caméra. Il est intéressant de voir comme l'unique valeur plastique qu’on puisse trouver à un film comme Murder at 1600 est contenue dans une maquette, conçue des années durant par le protagoniste. Le terrain visible de l’action réelle, qui s’évanouit à peine montré, est lui dépourvu de tout charme inhérent ; il n’y a pas de décor, mais pour lui suppléer, le confort d’un espace évanescent, qui sans cesse s’oublie lui-même. Les personnages, impavides et morcelés, ont d’autant plus de chances de s’y épanouir, en fleurissant lentement. Il y a toujours un danger à exalter une mystique de la caméra toute-puissante : les films de Dwight Little y résistent spontanément, car elle n’y contrôle pas notre vue du monde, elle ne fait que le caresser. La caresse n’est pas une flatterie ou un ornement car elle donne corps aux formes diverses du visible en ne cherchant qu’à les épouser sans ménagement, peut-être même aussi sans précision — ce n’est pas contradictoire. Dwight Little ne fait jamais de travellings, mais des successions de plans fixes lâchement noués en glissando. Dans Anacondas, quand les personnages fouillent l’épave de leur bateau déchiqueté, c’est la trame du monde physique qu’ils semblent vouloir raccommoder, enquêtant de leurs mains sur le sens des objets brisés, dévolus à la paix de leur brisure. Chaque champ-contrechamp ressemble moins à une alternance de pôles qu’à la mise en mouvement d’un champ de forces stabilisé, d’une calme et aveugle dérive des continents. Une pichenette et c’est la voie lactée. L’oeil de Little tâtonne, ou alors c’est sa main qui voit.



*On trouve un phénomène équivalent dans Anne of the Indies, lors du duel à l’épée entre la boucanière et Barbe-noire : les corps virevoltants ne se calquent pas entièrement sur le cadre prévu par Tourneur, dont on sent trembler les fondations, assailli qu’il est par les figurants et les objets présents à tous les angles. La forme de la séquence n’en est que plus vivement ressentie. 
Même chose dans Alexandre Nevski : quand le peuple de Pskov entre dans Novgorod par bateaux, l'épaisse file d’individus qui en sort cisaille le cadre et le dépasse par le haut et par le bas, comme pour le dessiller. Une telle mise en place, profitant du dénivelé de l’environnement filmé pour décupler la sensation de prolifération, désarçonne subtilement le socle du cadre autant qu’elle lui donne sa raison d’être.

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