Je parle de rêve, mais ce texte devrait s’intituler Une expérience de paralysie du sommeil, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Il y a quelques mois, je me suis réveillé au milieu de la nuit, dans un état de demi-conscience, incapable de bouger. C’est ce qu’on appelle la paralysie du sommeil. Chez certains, la paralysie du sommeil est régulière, si bien qu’ils craignent d’aller dormir, par peur de voir les choses terribles que l’on voit parfois lors de ces expériences. J’ai même connu un homme qui se refusait à aller dormir, restant parfois éveillé pendant plusieurs jours, uniquement pour éviter ce terrible état du corps et de l’esprit. Quant à moi, j’étais, presque tout au long de cette expérience, dans un état proche du sommeil, l’esprit embrumé. Mes sens étaient en éveil, ma perception agissait, mais ma conscience n’était pas tout à fait éclairée. C’est seulement quelques instants avant mon réveil que j’ai réalisé ce qui m’arrivait. Je n’ai donc pas ressenti beaucoup d’horreur ou d’angoisse – si ce n’est à la fin, comme je l’expliquerai.
Lorsque je me suis éveillé, j’ai vu, comme la plupart des gens à qui cela arrive, une créature assise sur mon torse. Il me semble – mais peut-être que je partage ici une information fausse – que la récurrence de la présence de cette « créature » dans les expériences de paralysies du sommeil s’explique par un simple processus cérébral : le cerveau, tentant de résoudre la contradiction entre réveil et paralysie, « imagine » que quelqu’un, ou plutôt quelque chose, est « posé » sur le paralysé. Dans mon cas, il s’agissait, plus que d’une créature démoniaque (comme on le voit sur un célèbre tableau), d’une ombre aux reflets rouges ou violets. Cependant, elle me quitta rapidement, et c’est de la suite des événements dont je voudrais parler.
J’ai dû me rendormir, puisque je ne me souviens pas d’une « transition », mais peut-être que celle-ci m’échappa. Pour expliquer ce qui m’est arrivé, je dois d’abord décrire ma chambre et la situation dans laquelle je me trouvais : j’étais allongé dans mon lit, du côté gauche. Ce coté du lit donne sur le reste de mon appartement, mais le lit est séparé du reste de la pièce par un rideau. Seule une petite ouverture, au bout de ce rideau, me permettait de voir une partie de la pièce. J’ai commencé par entendre des voix, un peu de bruit de verre et de pas, comme une réception mondaine. Cependant les voix semblaient sombres, graves. La pièce, comme je le voyais depuis l’ouverture du rideau, était encore plongée dans l’obscurité. Ces présences, je m’en rends compte aujourd’hui, avaient quelque chose de fantastique ou de spectral. Sans que je ne les voie – pour l’instant – leur présence me paraissait fantomatique ; je pouvais sentir leurs déplacements fluides mais lents à travers le rideau, leurs corps grands, flous, immatériels. Bientôt, l’une d’elle, marchant à pas lent mais léger (ou plutôt lourd et léger, paradoxe fantomatique s’il en est), passa dans l’ouverture du rideau. Elle se tourna vers moi, s’approcha, puis ouvrit légèrement le rideau : je pus alors la voir, à peine. Il s’agissait véritablement d’une ombre, une forme humaine, mais insaisissable, et franchement indescriptible. Je sentais pourtant son regard sur moi, un regard profond, un regard sans yeux. J’ai un souvenir vif de la sensation que m’évoqua cette apparition : je voulais à tout prix me tourner vers elle, me lever ou m’assoir pour la regarder plus directement, mais, paralysé comme j’étais, je ne pouvais que tourner mes yeux vers le bas, ou plutôt les pousser vers le bas, tant il était difficile de voir la créature. Au bout de quelques secondes, elle disparut.
Cependant la réunion continuait. Impossible pour moi de dire ce qui s’y dit. Je ne me souviens que des voix, des voix sombres, vagues, parfois des rires plus aigus. Je ne me souviens, en détail, que d’une seule phrase prononcée : une des ombres, la plus bavarde, la plus proche de moi aussi, celle qui frôlait le rideau, celle dont je pouvais sentir la chaleur à travers, parlait de moi. Je ne compris que quelques mots, prononcés d’une voix qui, sans être particulièrement grave, semblait venir d’outre-tombe, tant les mots étaient dits avec gravité, profondeur et lenteur. Cette phrase était – je vous la donne dans toute son étrangeté et son ridicule – quelque chose comme : « Je ne peux pas croire… Qu’il n’a pas vu… La femme délicate… Un tel film… ». La phrase était moqueuse, comme une remarque humiliante. Si je surligne ce titre de film imaginaire, ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit d’un titre de film, mais aussi parce que ce titre, ces trois mots, sont gravés dans ma mémoire. Ils furent prononcés avec une profondeur inouïe ; il m’a presque semblé que la présence avait prononcé ces mots en italique.
La petite fête continuait. Quelques secondes plus tard, je réalisais ce qui m’arrivait, et j’étais pris par un sentiment de vive curiosité mêlé à un sentiment d’horreur grandissant. Je ne sais pas si je me suis rendormi, mais je me souviens de m’être réveillé suant et déboussolé, réalisant seulement après coup ce qui s’était passé. Je ne retiens qu’une seule chose de cette expérience : mon horreur ultime, mon traumatisme cauchemardesque, c’est d’être démasqué par plus cinéphile que moi.
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