vendredi 5 juillet 2019

Quinze jours ailleurs - carnet de voyage américain (3/5)

21/06/19 

12h43 : 
Santa Monica. La fin de la Route 66. Le bout du monde de Los Angeles. A la vue de l'océan, mon cœur a fait un bond. Lorsque j’aperçois la mer, quelle qu'elle soit, ça me fait toujours l'effet d'un petit séisme intérieur. Mon corps entier s'en trouve troublé l'espace d'un instant. Ici, la découverte de l'Océan Pacifique, que je ne connaissais pas, a décuplé mon émotion. Et très vite resurgit le désir enfoui de prendre le premier bateau et de partir en mer, là où le paysage n'est plus que vagues, ciel et nuages à perte de vue. Fantasme éternel de me perdre dans l'horizon. 

Longtemps je me suis dis : un jour, je prendrai la mer et voguerai vers l'inconnu. J'y songe encore, parfois. Mais j'ai conscience aujourd'hui que rien de concret ne remplacera jamais l'illusion de cet abandon au mouvement continu de l'océan. C'est un délire métaphysique. Entreprendre pour de vrai ce voyage tant de fois accompli en songes risque de causer frustration plus que satisfaction. Avoir conscience que l'objet de mon désir est et restera obscur me permet d'accueillir les instants désirants avec davantage de douceur. Je vois mieux ce qui tient de l'extérieur et ce qui m'est intérieur, et je sens l'horizon rêvé vagabonder joyeusement entre les deux. Il m'arrive même de me confondre avec lui et de devenir un temps un solitaire anonyme, loin de tout, au cœur de lui-même au point de ne plus exister du tout, et de vivre éternellement au creux du mouvement de la vague, en perpétuelle métamorphose. 

Joubert : "Le chemin mobile des eaux... Un fleuve d'air et de lumière... Des nappes de clarté... Et c'est de ce point de la terre que mon âme s'envolera.

16h17 : 
Balade sur les bords de la plage, de Santa Monica aux canaux de Venice. On est en plein folklore, tout y passe : surfers, indiens, bikers, hippies... se vendant comme ils peuvent auprès des nombreux touristes. Puis les différents groupes de sportifs, comme en autarcie au sein de leurs communautés respectives, ne vendant rien mais se livrant à leur façon aux regards curieux et souvent admiratifs des passants. Ma sœur et moi nous sommes arrêtés devant le skatepark, qui bénéficiait d'un engouement particulièrement remarquable. Ce qui s'y passait nous a immédiatement captivé. C'était l'entraînement informel et quotidien d'une quantité de jeunes, garçons et filles, parfois pas plus hauts que trois pommes (le plus petit devait avoir 5 ans et impressionnait par le sérieux et l'aisance avec lesquels il avait assimilé les gestes élémentaires du skateur) ; une vraie galerie de personnages, à l'allure singulière et aux rituels communs, usant de leur skate comme d'un prolongement de leurs jambes, et coexistant plus ou moins amicalement -faisant groupe, en tout cas. Certains s'en vont, d'autres entrent en piste, toujours avec un parcours et des figures qui leur sont propres et qu'ils font et refont, inlassablement, de plus en plus harmonieusement, à la manière d'un musicien répétant son morceau pour trouver le ton juste. Nous sommes restés une bonne quarantaine de minutes, béats face au spectacle improvisé de ces corps en mouvement, et ivres du désir passager d'y revenir fréquemment, voire de se mettre soi-même à la pratique du skate. Quelque chose dans ce sport que je ne connais pas me fascine. Cela touche, je crois, à l'impression que la souplesse, l'élégance, l'effort, le style et l'authentique coolitude s'accordent étonnamment et se dirigent ensemble vers un mouvement qui les dépasse mais qu'ils ont l'audace d'approcher, un mouvement indescriptible, ineffable, où, l'espace d'un instant, l'homme et l'univers semblent ne faire plus qu'un. 

Quant à la promenade dans la petite Venice, c'était agréable et amusant. Une ribambelles de maisons fleuries et colorées, se succédant dans une ambiance zen des plus sophistiquées. Tout est fait pour que l'on se dise "je veux vivre ici !" -et, effectivement, c'est ce qu'on se dit. Mais, une heure seulement après être sorti ce quartier pittoresque, l'enthousiasme s'est déjà complètement évaporé. Je dirais que c'est un lieu sympathique, mais d'une sympathie toc et pleine de suffisance. Je suis donc passé, en peu de temps, d'un sentiment vif et profond de l'harmonie à une harmonie inauthentique, fabriquée de toute pièce sur le dos d'un cliché. Car c'est ce que sont ces maisons insolites, au fond : les vitrines du cliché de la petite vie paisible au bord de l'eau. Malgré ses dreads et son baggy, le skateur, lui, quand il est sur la piste, fait tout pour échapper au cliché, et se lancer à la poursuite du spectre insaisissable de la beauté pure. 


22/06/19 

12h12 (heure de l'Arizona) : 
Sur les rails en direction de la Nouvelle Orléans, je prends plaisir à regarder par la fenêtre. On a souvent tendance à dire "j'avais déjà vu des images, mais c'est quand même autre chose en vrai !". Je répondrais "oui, c'est autre chose, mais certaines images sont parfois d'une profonde vérité.". À la vue, depuis le train, des plaines de l'Arizona, je pense à ces grands peintres du paysage américain, qui ont choisi le cinéma plutôt que la peinture, sans doute par attachement à la narration, ou pour ne pas trop avoir à se préoccuper de la contrainte pesante de la figuration. Allan Dwan, Anthony Mann, Budd Boetticher et James Benning m'avaient déjà montré ce que je découvre de moi-même aujourd'hui. Ces buissons courts sur pattes fermement plantés dans la terre sèche et légèrement rocailleuse, ce faux plat traversé de poteaux électriques traçant la ligne l'horizon, ce ciel d'un bleu éclatant parsemé de quelques nuages, ces montagnes arides cabossant le lointain... tout cela est inscrit dans un imaginaire courant du Far West. Mais l'atmosphère, l'énergie, le mouvement propre de ces grands espaces où tout semble pourtant imperturbable, ne peuvent être éprouvés qu'à condition d'y porter une attention particulière. Lorsqu'on y est, où même simplement lorsqu'on traverse le pays en train (comme je le fais en ce moment), c'est sensible, c'est dans l'air, notre respiration s'accorde naturellement à celle du paysage. Mais pour la dire, ou la peindre, ou la filmer, c'est une autre paire de manches... C'est que les buissons ou les montagnes ne valent rien s'ils sont pris comme de simples éléments figuratifs. D'où l'échec cuisant de la carte postale : elle ne fait souvent rien d'autre que retranscrire la joliesse de façade d'un lieu qui, donné avec vraisemblance et orné de quelque maquillage (coucher de soleil, pose aguicheuse, sentiment d'ordre dans la composition...), se trouve condamné à en être réduit à sa propre vitrine, séduisante et superficielle. Pour restituer un peu de la vie du lieu, il ne suffit pas de créer habilement l'illusion de la ressemblance, encore faut-il loger dans cette figuration les points d'énergie essentiels, qui se situent, en peinture, dans les courbes, les lignes, les couleurs ; au cinéma dans la juste concordance de l'espace et du temps. Pour que l'air passe dans et entre les plans, il est nécessaire d'y laisser jouer des notes nouvelles et inattendues, ne provenant ni de l'esprit du cinéaste ni du rouage de la machine mais du dehors, là où tout ne cesse de se mouvoir en direction de l'imprévisible. 

Les quatre cinéastes nommés plus haut font ce travail-là, et me donnent le sentiment d'une vérité unique et singulière d'un paysage que je retrouve aujourd'hui, différemment. Soudain, je repense à Monet, et à son Mont Kolsaas en Norvège, toile tardive où l'on est proche d'un abandon total de la figuration. Monet est un peintre virtuose, mais ce tableau m'émeut davantage que d'autres plus célèbres, précisément parce que, dans ceux-là, son trait si précis, sa technique si sophistiquée, empêchent parfois la Nature de s'exprimer par elle-même, comme s'il y avait encore trop de Monet sur la toile, trop d'effets de signature qui camoufleraient un peu la nudité prodigieuse et insaisissable du paysage qu'il a pris pour sujet. Dans Le Mont Kolsaas en Norvège, on perçoit le relief suggéré par le titre, et surtout sa beauté, grâce à un simple assemblage de courbes et de couleurs, débarrassées des contraintes narratives et figuratives, loin de toute séduction, et témoignant à elles seules d'un geste sublime de la Nature. 

14h12 : 
Nous partageons ce midi notre repas avec un vieil homme authentiquement sympathique, à la courtoisie naturelle et témoignant d'une réelle curiosité vis à vis de ceux qui se sont trouvés par hasard à sa table, ainsi qu'un vloggeur amusant, lui aussi fort aimable bien qu'un peu moins à l'aise à l'idée de converser sans filtre avec trois inconnus. Le repas a commencé par un selfie incongru, le vloggeur ayant reconnu le vieil homme dont il avait vu le visage juste avant son départ, sur un blog dédié aux trains américains tenu par lui et apparemment plutôt réputé. Photo à deux en guise de dédicace, donc, pour ajouter aux nombreuses vidéos touristiques le souvenir d'une rencontre inattendue. Le vieil homme, pas du tout dérangé et même plutôt flatté, bien que toujours très modeste, s'est prêté au jeu sans résistance. Par la suite, il a humblement dominé l'espace de discussion, en racontant quelques anecdotes (de voyages notamment). Une parmi d'autres, qui a beaucoup amusé le cinéphile que je suis : c'est l'histoire d'un ami à lui qui, rêvant d'être acteur, a réussi à empocher un tout petit rôle dans In Harm’s Way de Preminger (avec John Wayne, Kirk Douglas et Henry Fonda). Il n'avait qu'un bout de scène à jouer, avec pour seule indication d'entrer dans le champ, de récupérer un papier remis par Henry Fonda, puis de repartir. Le tournage commence, il arrive devant la star, prend le papier et lui dit "Thank you sir !". On entend alors un "Cut !!!" depuis l'arrière de la caméra. C'était Preminger, qui ajoute d'emblée en maugréant "Who's this idiot ?!" et le vire aussitôt. Désillusion ou blacklistage, l'histoire ne le dit pas, toujours est-il qu'à la suite de cette expérience, l'ami du vieil homme n'a plus jamais remis les pieds sur un plateau de tournage. 

19h42 (heure du Texas) : 
Beauté inlassable de ce paysage américain. 

20h50 : 
Une expression courante veut que les lieux touristiques soient "chargés d'Histoire". Ici, les grandes plaines que nous traversons semblent au contraire vierges d'histoire, comme si nous étions invités à nous y installer, ou seulement à passer, mais à faire quelque chose de ce désert. Toute l'Histoire américaine se base sur ce principe-là : partir de rien et construire. S'enraciner dans le désert, jusqu'à que ce que les fruits de son arbre grandissant permettent de prospérer, puis de faire du commerce, de planter d'autres arbres, et ainsi de suite. Mais ce qu'on oublie encore, bêtes historistes que nous sommes, c'est que le rien américain était déjà peuplé. Pas d'Histoire, certes, mais une géographie libre et foisonnante. Ceux qu'on appelle à tort les indiens vivaient là, non comme des arbres mais comme de l'herbe qui pousse en continu (pour emprunter à Deleuze une belle métaphore), sans ne jamais assombrir ni dominer le paysage. Plutôt en cohabitant avec lui, c'est-à-dire en l'habitant et en le laissant les habiter, dans un respect mutuel et horizontal. Pas d'Histoire amérindienne car pas de trace laissée, dans un simple soucis d'humilité. L'Indien d'Amérique du Nord, du moins ce qu'on en sait, le mythe Indien (déjà toute une histoire), a cela de fascinant qu'il a vécu et prospéré sur un modèle essentiellement géographique. Il est question de territoires, de déplacements, d'adaptation, mais pas de marques, de dates ou d'héritage. On a beau être tenté d'y voir un idéal, je crois que c'est encore presque inconcevable pour nos esprits occidentaux (d'où l'horrible génocide). Trop attachés aux traces, aux objectifs ; au passé, à l'avenir. L'idéal Indien est comme un idéal en art : il s'agit de se nicher dans l'espace d'équilibre où passé, présent et futur cohabitent harmonieusement et accueillent en leur sein le perpétuel renouvellement nécessaire à leur force vitale. Mais ces moments nous sont encore comptés, et les artistes nous permettant d'y accéder nommés et célébrés (ou rejetés par la crainte profonde du déracinement). Peut-être serons-nous tous un jour animés de cette vie sans histoire, alors le temps sera venu de nous ouvrir paisiblement au désert, et à sa tendre géographie de l'éternité. 

22h27 : 
Je ne saurais dire ce que m'évoque précisément le mot soir, mais il m'inspire toujours un sentiment merveilleux. Si bien que j'ai l'impression nostalgique de ne pas vivre suffisamment de soirs qui soient à la hauteur du mot. Soir, soir. Une fois pas deux, c'est mieux. Soir. Surgissement brusque et soudain de l'image d'un tableau de Soulages. Ce soir ressemble un peu à ça : beau, franc, imposant, d'une plénitude qui tend vers l'angoisse. Depuis la salle commune du train, avec ses fauteuils confortables et ses grandes fenêtres donnant sur un paysage entièrement plongé dans l'obscurité, je lis Tendre est la nuit de Fitzgerald. J'avance doucement, mes pensées ne cessent d'aller et venir, quittant les pages puis s'y posant à nouveau. Un passage me trouble intensément, qui semble écrit ici et maintenant : "C'était une nuit très pure et très noire, suspendue comme un grand panier à une seule étoile un peu mélancolique. L'atmosphère était si épaisse que le klaxon de l'autre voiture leur parvenait comme étouffé.". Le soir s'en est allé, laissant place à la nuit. Cette fois, il fut digne de son nom.

23/06/19 

13h38 : 
À mesure que je prends goût à la lecture de romans, je sens naître en moi un désir de plus en plus vif d'écrire de la fiction. La fiction est toujours là si l'écriture est belle, me dira-t-on, et se montre ou se cache seulement en fonction du registre choisi. Je rectifie : désir de narration. Je m'y essaie, parfois, mais toujours les mots me manquent. Je crois qu'il faut, pour construire un récit, un certain sens de l'épaisseur et du détail, que je n'ai pas encore. Trop vite je vais à l'essentiel, je dis ce que j'ai à dire sans prendre le temps d'emprunter les chemins de traverse qui sont précisément les lieux de floraison de la narration. Peut-être me faut-il apprendre à les connaître, m'y promener encore et encore jusqu'au jour où je me sentirai capable de me frayer mon propre chemin. 

J'ai aussi l'impression fréquente (et pourtant tout à fait illusoire, j'en ai conscience) d'épuiser mon discours, d'arriver à la limite des possibilités du dire, au bord du gouffre splendide et vertigineux de l'indicible, là où les mots n'existent définitivement plus, emportés par le vide. C'est comme si j'avais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour dire au mieux une chose qui, manifestement, ne se dit pas (ainsi s'effectue le travail du critique de cinéma). Évidemment, je me trompe, et la progression constante de mon écriture ne cesse de me le prouver. Mais tout de même... Je vois un manque, un manque de vertige, peut-être, qui rendrait sensible le gouffre. Lorsque je lis un livre de Henry James, je suis saisis par l'idée qu'il semble y avoir, entre chaque phrase, chaque mot, l'espace pour en loger mille autres. L'habileté de sa langue (bien que transformée par la traduction) est telle que bourgeonne et s'épanouit au sein du livre, indépendamment de son écriture même, un art lumineux de l'ellipse. Son style est si minutieux et virevoltant que les mots galopent sur la page en laissant derrière eux les traces évanescentes de leur passage, porteuses chacune d'un monde en devenir que le lecteur est libre de réfléchir ou non. Quant à l'humeur joviale et frétillante des jeunes femmes qu'il décrit (Verena Tarrant, Daisy Miller), leur mystère hors-sol, leur caractère insaisissable, ils se trouvent aussi dans le ton du livre, et l'on devine Henry James s'y projeter avec prudence et exaltation. Il me reste donc, pour écrire, à me projeter aussi, mais l'idée du projet me terrorise tant que je préfère encore, pour le moment, la laisser en suspens. 

15h19 : 
Toujours dans le train, qui fait en deux jours complets le trajet de Los Angeles à la Nouvelle Orléans. Nous ne sommes pas encore en Louisiane, mais déjà se présente à nous le fameux Bayou. La tranquillité des eaux contraste avec la verdure qui pousse en bataille tout autour. Il est drôle de constater que la nature sauvage se manifeste de deux façons très différentes d'un bout à l'autre du Texas : hier, c'était le calme sec du désert, aujourd'hui la folle moiteur du Bayou, et son vert envahissant qui semble nous attendre avec un air de défi. Au coyote succède l'alligator ; à la poussière, les moustiques. L'impression de m'engouffrer dans un territoire à la respiration sereine et au souffle animal. Hâte d'accorder mon pouls à la musique de ce pays énigmatique, que j'imagine discordante et pénétrante. 

19h52 : 
Dernier dîner dans le train. Le serveur du restaurant -toujours le même depuis le début du trajet- est un personnage si inénarrable que je ne vais pas me risquer à le raconter. Retenons seulement que l'intégralité de ses gestes et de ses paroles sont au service du rôle qu'il joue, réglés comme une horloge dont le coucou sortirait trois fois par jour à l'heure des repas. Je me demande comment vivent les gens comme lui, qui semblent se fondre dans leur personnage au point de n'avoir pas d'existence au-dehors. Comment se comportent-ils avec leurs proches, auprès de leur famille, dans une situation délicate, ou même une fois seuls dans leur chambre ? Je me dis souvent un peu rapidement que de tels individus, tenant rigoureusement leur rôle pour ne pas laisser s'échapper le moindre soupçon de vulnérabilité, sont au fond très seuls et refoulent une angoisse profonde. Mais c'est là une interprétation psychologisante, pleine de condescendance et de précipitation. Je n'en sais rien, au fond. Je l'ignore d'autant plus que je ne suis pas comme ça. Cela-dit, je remarque que, quel que soit le personnage que l'on joue en société, il est souvent subi plus que choisi, et l'on finit la plupart du temps, question d'habitude et de paresse, par endosser son rôle comme un fardeau bien lourd à porter. Je dis paresse : c'est une paresse confortable et craintive, manifestation d'un besoin de sécurité tout à fait recevable, et dont il est bien difficile de se départir. Improviser chaque jour une attitude nouvelle représente une prise de risques considérable. Cela revient à reconfigurer sans cesse l'espace social dans lequel on se trouve. C'est déstabilisant pour les autres et pour soi. Mais ça peut être aussi, si c'est vu comme un jeu (et, après tout, les termes de "rôle" et de "personnage" invitent à l'envisager ainsi), la source d'un extraordinaire sentiment de légèreté. S'ouvrir au monde, ça passe aussi par là : jouer sa partition chaque fois différemment en fonction du tempo du lieu où l'on se trouve. Les caméras cachées de François l'embrouille me fascinent pour ça : il a la faculté de s'adapter rapidement et avec simplicité à chaque situation qui se présente à lui, il parvient à moduler son personnage en le réglant sur la vitesse de l'autre, puis à faire jouer à l'autre des gammes inattendues. Ce qui est beau, c'est que les compilations de ses caméras cachées contiennent aussi des ratés, de la violence... elles ont l'honnêteté de montrer que tout n'est pas parfaitement réussi. Mais la prise de risque est là, et s'avère toujours plus libératrice que dangereuse. Acteur-metteur-en-scène formidable, François l'embrouille est avant tout un homme qui fait le choix de jongler avec l'idée d'identité, et invite chacun, par la simplicité de son geste, à se lancer à son tour dans l'imprévisible stimulation du grand jeu de société.

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